Où est-ce qu'on va? [terminé]

Une fin de matinée habituelle pour ce recoin de l'empire de Saseryn, au Sud-Ouest de ce dernier, entres plaines et bosquets baignés dans les lueurs mourantes de l'aube remplacée par la radiance du Zénith approchant, l'on eu put ne pas discerner au milieu de toute cette verdure sauvage le petit chemin sinuant à l'orée d'une forêt. Au bord de ce chemin, une auberge  à l'architecture se fondant presque dans la masse verdoyante dans laquelle elle semblait être encastrée, presque toute de bois vêtue les pierres et mortiers utilisés pour sa constructions avaient été habilement sculpté pour imiter le reste des boiseries apparentes.

Une matinée difficile pour Artanis, qui, après avoir mis en ordre ses affaires, ses bagages, et enfilé sa tenue de voyage, avait, à sa propre surprise, bien peiné à faire ses adieu à sa famille, ses domestiques, et ses professeurs. Ayant scellé lui même son cheval, il était parti avec la brume matinale, rejoignant son frère qu'il avait retrouvé perché sur une branche d'arbre tel un étrange hiboux, créature grosse comme un gros chien perché sur l'un des pins du bosquet familial. Prenant la route ensemble, le cœur de ces deux être se serrait alors qu'ils engageait leurs premiers pas vers un avenir incertain.
La route avait été longue, mais le jeune chevalier s'autorisant un galop soutenu, et Belthranar empruntant la voie ds airs, les deux compagnons étaient arrivés à leur destination avant midi.

Une matinée inhabituelle pour la gérante de "la licorne effarouchée", qui, à sa grande surprise, s'était  vu son établissement entièrement réservé pour la journée. Elle qui n'avait pas vue de clients depuis plusieurs jour, avait accepté la bourse de ce riche noble de la capitale, envoyé avec messager en grandes pompes, lettres et tout le décorum. Ayant passée la soirée à préparer chambres et salle principale, elle s'était d'abord attendue à recevoir tout un aréopage de nobles débarquer chez elle. Elle sut pourtant cacher sa surprise lorsqu'Artanis, frais mais le souffle légèrement court, passa le pan de sa porte, fila droit sur elle et lui commanda "Une grande carafe d'eau, rien de plus, merci".

Artanis était infiniment reconnaissant de son père lui ayant fait cette "faveur" afin que lors de son premier arrêt lors de son voyage, il n'ait pas a se séparer de son nouveau frère. Intiment à l'aubergiste de se mettre en cuisine, et lui demandant pardon d'avance alors qu'il lui demandais d'y rester "jusqu’à nouvel ordre", il vit scintiller le souvenir des pièces d'or de son paternel dans les yeux de son interlocutrice alors qu'elle s’exécutait avec étrangement trop peu de réticence. Promettant de rendre son "fier établissement" comme il l'avais trouvé, Artanis faisait alors rentrer son frère dragon et le laissait se poser prêt d'un feu qu'il alluma avec deux bûches et sa magie.
Son regard se perdant dans les flammes naissantes, Artanis pensait à son nouveau don pour les arcanes, il pensait à celui qu'il avait invité ici, en ce lieu, il se souvenait d'un temps ou pour lui la magie ne pouvait lui servir qu'à allumer des feux de camps, désormais, il en était tout autre.

Intiment à belthrannar de se percher sur une poutre en hauteur au dessus de l'âtre afin de ne pas se faire voir, un rapide échange expliquant au dragon la "visite attendue", celui-ci, d'abord exposant sa retenue, finit par s’exécuter, prenant sa place parmi les ombres du plafond de la grande salle, et reprenant sa sieste. Artanis quand à lui, s'était assis sur la table centrale, finissant sa cruche d'eau, il alla en chercher une d'hydromel en cuisine, avec un frugal petit déjeuner.

Alors qu'il se posait la, pensif, le regard vagabondant entre les flammes, la lumières du jour arquant ses halos dorées à travers les vitres de l'établissement, et les veinures de bois de la table en chêne massif, son ongle glissait le long de ses dernières machinalement. Il ne savait quoi lui dire, pourrait-il le reconnaître? Que lui dirait-il? Il ne lui avait envoyé qu'une simple lettre:

"Cela fait bien longtemps, j'ai entendu dire que tu quittais l'académie, les vieux débris ont-il enfin reconnus tes talents? Alors que tout comme moi tu dois te demander que faire de l'avenir, je t'invite à l'auberge de la licorne effarouchée, mon père la réservée pour une journée. C'est une cahute en bordure de l'empire, nous pourrons y parler librement, entres autres choses. Viens donc, discutons, comme avant.

Artanis"

Le jeune noble n'avait pas encore trouver le moindre de ses mots, ni de ses pensées, lorsque la porte s'ouvrit à nouveau.

Il avait prévu de partir très tôt dans la journée. Deux raisons à cela : premièrement, la destination était étrangement lointaine – une auberge inconnue au nom graveleux en bordure de frontière. Deuxièmement, il avait toujours été extrêmement mauvais à ses cours d’équitation. Galoper sur les routes plates et entretenues du royaume elfique était pour ainsi dire le maximum de ses capacités, et demanderait une attention maximale – qu’il ne saurait certainement pas fournir tout du long du chemin. Aussi, qu’importe qu’il aille vite, pourvu qu’il aille bien.

Toute la nuit, il avait remâché ses souvenirs, ses envies, ses derniers jours à l’école des mages – qu’il avait quittée, il était vrai, un peu précipitamment. Il n’avait, après tout, plus rien à apprendre là-bas. Rien d’autre que les quelques livres qu’il avait "empruntés" dans la réserve. De toute façon, à en juger par la poussière qui les recouvrait, personne ne les consultait jamais. Aussi, il avait délié les pages que renfermaient les cuirs travaillés des ouvrages, pour les remplacer par du papier de même facture. Vierge, certes, mais encore une fois, personne n’y verrait un problème : une fois replacés dans les étals, le crime était comme invisible. Preuve en était que personne ne s’en était encore rendu compte depuis. Et puis, il s’était promis de faire l’opération inverse lorsqu’il aurait lu de tout son soûl le contenu exotique de ces grimoires. Qu’importe que l’on jugeât leur magie dangereuse ou impie ; il n’avait pas prévu d’égorger des poules et de tracer des pentacles avec, en dehors de ses sessions d’entraînement bien entendu.

C’était donc naturellement qu’ils s’étaient retrouvés dans les sacoches de sa monture. Plus deux ou trois autres livres de magie et d’histoire. Et des cartes. Et des parchemins. Et des pages vierges, des encres, des plumes. Et son bâton d’élémentaliste. Et des vivres, aussi. Ainsi qu’une bourse bien garnie. En vérité, et sans s’en rendre compte, il s’était paré à voyager pour plusieurs jours.

Pourtant, le message qu’il avait reçu à sa grande surprise ne faisait en aucun cas mention d’une quelconque entreprise d’envergure.

« Cela fait bien longtemps. J'ai entendu dire que tu quittais l'académie. Les vieux débris ont-ils enfin reconnus tes talents ? Alors que tout comme moi tu dois te demander que faire de l'avenir, je t'invite à l'auberge de la Licorne Effarouchée. Mon père l’a réservée pour une journée. C'est une cahute en bordure de l'empire, nous pourrons y parler librement, entre autres choses. Viens donc, discutons, comme avant.

Artanis. »

L’invitation de son ami blond aux yeux verts était d’une étrangeté fascinante. Pourquoi vouloir "discuter comme avant" dans un lieu si lointain ? Ils n’avaient jamais discuté avant aussi loin de la ville. Avait-il une nouvelle à lui annoncer ? Pourquoi réserver le lieu pour la journée ? Ildarion se demanda un instant si, en ayant perdu la notion du temps au fil de ces dernières nuits d’étude, il avait fini par oublier qu’il s’agissait aujourd’hui, en réalité, de son anniversaire. Mais non, c’était invraisemblable. Sauf si l’on avait truqué son arbre généalogique et menti toute sa vie durant, bien entendu. Alors, son ami se mariait-il ? Artanis était bien mieux placé que lui sur l’échiquier du pouvoir : probablement qu’un tel parti devait recevoir toutes sortes de propositions d’alliance. Ildarion l’imaginait déjà prendre une mine grave tandis qu’il déclamait avec la verve grandiloquente qu’il lui connaissait comment l’insigne honneur d’unifier sa maison avec une autre famille d’envergure apporterait, après des années de trouble, paix et prospérité aux Elfes d’Opale.

Écartant presque sans y penser la possibilité qu’il s’agisse là, en réalité, d’un piège des ennemis de sa famille – personne n’aurait d’intérêt à ce qu’il meure, lui qui n’avait jamais fait de vague et qui était bien loin des branches principales de la famille, et lui qui, somme toute, était le moins enclin à la prudence et la paranoïa – il avait finalement décidé de mettre ces questions entre parenthèses. Donc, après avoir perdu plusieurs heures à y réfléchir, et sans avoir trouvé de solution qui satisfasse sa curiosité.

Hésitant un instant à défaire ses préparatifs aux airs d’acte manqué, il se rendit compte que le soleil avait déjà quitté l’horizon depuis quelques heures, et qu’il était de facto en retard sur ses prévisions. Probablement qu’Artanis l’avait anticipé, puisque l’auberge était, après tout, louée pour la journée. Il sourit un instant à la pensée de son ancien camarade et de ses velléités de vertu, à tenter de tout prévoir pour parachever ses airs de perfection. Un vrai elfe, somme toute.

Du chemin, il n’y eut pas grand-chose à dire. Le ciel elfique était limpide, le soleil radieux. La forêt verdoyait tranquillement tandis qu’il s’éloignait de Namaï, croisant marchands, voyageurs, soldats. On le regardait d’un air bizarre : probablement qu’il avait l’air crispé sur son palefroi, et somme toute un peu étrange avec sa robe de mage débraillée et son visage à moitié resté dans le lit qu’il avait quitté l’avant-veille. Soit ; Artanis, lui, avait l’habitude de ses frasques ; s’il voulait discuter "discuter comme avant", cela impliquait l’intégralité du packaging, cernes compris.

Il était passé midi lorsqu’il atteint finalement sa destination après plusieurs pauses et déboires de voyage. Bon nombre de locaux ne connaissaient même pas l’endroit ; il avait dû le dénicher sur une carte à moitié effacée placardée dans un village voisin. Pas fâché d’être arrivé, il démonta et souffla un bon coup – plusieurs coups, en vérité. Une monture était déjà présente à côté de la sienne, aussi il en déduisit qu’il était probablement déjà attendu. Embarquant par réflexe l’ouvrage qu’il lisait en ce moment ainsi que son argent, il pénétra dans l’établissement aux boiseries délicates.

Sans qualifier l’intérieur de cossu, l’endroit était tout de même charmant. Le feu brûlait depuis plusieurs heures à en juger par la quantité de cendres qui s’était établie dans le foyer. Un elfe aux cheveux blancs le fixait de ses yeux bleus. Il y avait d’autres invités ? C’était probablement à propos d'un mariage. Mais l'endroit était, sinon, terriblement vide. Voilà qui était bien étrange. Artanis en saurait probablement plus, et lui expliquerait le fin mot de l'histoire lorsqu'il reviendrait de sa probable pause aux latrines. Sans faire de vagues, Ildarion s’épancha d’un timide salut à l'autre elfe présent et alla sur la table la plus isolée de la pièce se perdre dans son livre.

Le raclement du pichet contre la table lui fit lever à moitié la tête hors de son ouvrage. L’elfe avait terminé son encas et s’était redressé, se dirigeant vers lui d’une démarche qu’il connaissait bien. Ildarion écarquilla légèrement les yeux, analysant ce visage dont il avait préalablement attribué les familiarités à un potentiel cousinage avec l’ami qu’il était venu voir. Des traits fins, élégants, raffermis par l’entraînement militaire. Des traits longilignes, fuselés, figés dans une expression naturellement sévère que les sourires ne venaient que rarement décrisper. Il avait vu beaucoup de ses congénères tenter d’arborer leur hybris avec autant de prestance, mais il n’en connaissait qu’un qui y arrivait si bien.

Aussi, lorsque le visage de cet homme se figea dans une moue des plus caractéristiques tandis qu’il s’asseyait en face de lui d’un mouvement leste et millimétré, Ildarion eut un léger mouvement de recul, pris de court par cette tournure inopinée des évènements. Et les paroles qui furent prononcées le furent d’une voix qu’il connaissait bien, d’une manière qu’il connaissait bien, d’un parler qu’il connaissait bien ; du plus génial au plus insupportable grain de tous ces éléments.

« J’ai déjà dit bonjour » glissa l’arcaniste d’un ton cassant. Car il était un homme de peu de mots, et ses mots fusaient toujours droit au but.

Ildarion avait décalé son livre sur le côté de la table, de peur que la substance contenue dans le pichet ne rentre d’une manière ou d’une autre en contact avec les pages fragiles. Laissant de côté son agacement, il trouva dans le visage de son compagnon de tablée tous les éléments qu’il se serait attendu à voir chez son vieil ami. Exceptés les yeux et les cheveux, bien entendu. Se serait-il fait une teinture ? Il le savait coquet, mais surtout fier ; aussi il ne le voyait pas s’embarrasser d’apparats cosmétiques là où son apparence naturelle dopée à l’égo valait tous les fonds de teint. Avait-il expérimenté une magie d’illusion à ses heures perdues ? Cette simple pensée, beaucoup plus intéressante, alluma dans les yeux d’Ildarion une flamme de curiosité que son voisin ne manquerait pas de capter.

« Tu as changé. Physiquement. Pour ce qui est du reste, il est trop tôt pour le dire. »

L’arcaniste savait aussi que le ton de son ami, qui se voulait familier et détaché, ne traduisait en rien un quelconque état d’aisance ou de maîtrise. Lequel des deux était le plus intimidé ?

« Et si tu veux tout savoir, j’ai passé la nuit à réfléchir à ta lettre. Je ne sais pas si cela m’a mis de travers ; mais le voyage à cheval ne m’a certainement pas arrangé. »

Étendre à nouveaux la voix de son ami, la tension, la gène déjà effacée, redonna un sourire à Artanis, qui ne put s'empêcher de laisser échapper un «hmm» de ce même sourire s'arquant en coins, ses yeux se plissant légèrement alors qu'il devinait déjà Ildarion inspecter sa physionomie
et commencer déjà à démêler les fils de la vérité de son changement. Son regard se déporta un instant de celui de son interlocuteurs, et sa main alla passer un doigts subreptice sur le cercle d'argent qu'il portait sur son front avant de revenir à son ami, d'un air jovial :

-Je te raconterais tout sur mon changement, et sur la raison de nos retrouvailles en ce, Artanis laissa traîner sa voix, balayant la salle d'un geste, hésitant à choisir ses mots avant de se décider, lieux, endroit, pièce ? C'est une taverne elfique déjà, mais passons. Voudrais-tu bien me faire le plus grand des cadeaux, et me pardonner alors que je te demande humblement de mettre tes questions en pause juste un instant, et me conter d'abord ton histoire, toi, qu'as tu fait durant ces années, qu'es-tu devenus ? Que souhaites-tu faire désormais que le monde t'appartiens ?

Arborant son plus large sourire malgré sa gène de laisser tant de mystères en suspens dans l'esprit de son ami de toujours, le jeune chevalier ne put s'empêcher, comme d'une excuse, d'ajouter :

-Je n'ai pas changé tant que cela, et nous avons toute la journée, je te promet de répondre à toutes tes questions jusqu'à demain matin si tu le désires ...

Artanis plongea son regard dans celui d'Ildarion, joignit ses mains sur la table et s’efforça de toutes ses forces d’étouffer sa gène. Comme pour se forcer à "faire quelque chose" et garder un semblant de naturel, il se servit un verre d'hydromel qu'il proposa à son ami. Un instant son regard failli fureter au dessus du duo de manière presque incontrôlable vers Belthrannar les observants. Artanis, s'étant fait violence pour se retenir, souhaitait d'abord vérifier quelque chose avant d'attirer la moindre attention sur le dragon.

Ildarion ne comprenait pas grand-chose aux élucubrations de son ami. De toutes les bizarreries qu’il put commencer à émettre, ce fut l’accroc sur la nature du lieu qui le surprit le plus.

« Bien évidemment qu’il s’agit d’une taverne elfique, réagit-il au quart de tour. Pour ce qui est de la partie "taverne" de cette dénomination, je ne saurais te faire l’affront de t’expliquer en quoi ce lieu est un débit de boisson avec possibilité d’y manger et de s’y détendre, de manière tout à fait obvie. Quant à la partie "elfique", et bien, sans être exceptionnelle, l’architecture de l’endroit dénote un goût tout particulier propre à ceux de notre race. Notamment les hauts-reliefs visibles sur les linteaux du portique. Vu le style, je ne la qualifierais pas de vieille – pour un bâtiment de notre cru, entendons-nous bien. Et puis, un établissement frontalier est souvent exposé aux caprices géopolitiques, et je peux humblement affirmer que je connais en partie l’histoire de la région ; en fouillant un peu, je pourrais sans doute te retrouver de quand date ce bâtiment, ce qu’il y avait auparavant à son emplacement, et si les récents conflits ont marqué le lieu, puisque cela semble tant te perturber. »

Ce faisant, il se mit à réaliser qu’il était probablement le plus perturbé des deux à l’idée que ce bâtiment ne soit ni une taverne, ni elfe. Était-ce encore le fruit de la magie d'illusion qu'il prêtait à son interlocuteur ? Non, il faudrait être vraiment doué pour créer un lieu entier avec autant de détails et de minutie ; un lieu avec une existence préhensible dans le réel, puisque connu dans les alentours. A moins qu'il ne s'agît d'une ruine et que les voiles de magie ne fassent que déguiser les dégâts ? Pourtant la chaleur était bien réelle. La condensation de l'hydromel contre le cristal. Le fumet d'un ragoût en cuisine. Tromper les yeux était une chose, tromper tous les sens en était une autre. Son ami ne cherchait peut-être, après tout, qu’à meubler la conversation pour le détourner du fait qu’il avait effectivement changé physiquement, par un moyen qu'il tardait à expliquer. Une robe de mystère sous une ganache de subterfuges rhétoriques, et il était tombé dans le panneau la tête la première comme il en avait si bien l’habitude. Pas de doute, ce don pour l'appâter dénotait bien du génie machiavélique d'Artanis. Il se sentit quelque peu embarrassé, mais s’empourpra d’égo plutôt que de honte. Il avait encore des choses à vérifier.

« Quant à ce que j’ai fait durant ces dernières années… C’est simple : suivre sagement les préceptes de mes maîtres et rester dans le cadre sans faire de vagues, bien entendu. »

Sa voix avait été très sérieuse. Il marqua une pause, sonda son ami d’un air impassible, observant si le sourire de ce dernier fléchirait face à cette fracassante révélation qui tenait plus du test qu’autre chose ; d’un air distrait, il avait commencé à faire léviter un peu d’hydromel hors du verre qu'on venait de lui tendre, étirant les gouttelettes dans les airs, traçant des rosaces et autres motifs géométriques. Une fausse boisson ne réagirait pas ainsi à ses injonctions arcaniques, à son grand réconfort.

Un léger sourire s'étira sur le visage d'Artanis alors que son interlocuteur déclamait sur les spécificités de l’établissement, et espérait secrètement que ce dernier fasse, comme il le proposait une « recherche plus avancée sur le sujet ». Il n'en fit rien, n'en dit mot, même si il adorait encore en cet instant voir son ami dans son art de la recherche approfondie, il y avait toujours eu quelque chose d'intéressant à apprendre aux côté du magicien aux yeux d'Artanis. Puis Ildarion déclara :

« Quant à ce que j’ai fait durant ces dernières années… C’est simple : suivre sagement les préceptes de mes maîtres et rester dans le cadre sans faire de vagues, bien entendu. »

A ces mots Artanis ne put s'empêcher de hausser un sourcil et ses lèvres se réunirent en une moue qui disparue presque aussitôt, ses lèvres claquèrent alors avec sa langue alors qu'il inspirait et penchait sa tête sur le côté tel un hiboux. L'instant d’après, finissant sa profonde inspiration, précédent ses propos d'un « mmmooouuui » dubitatif, il répondit, aussi sûr de lui que son interlocuteur :

-Oui bien sûr, et moi d'ailleurs je me suis trouvé, retrouvé, cette fièvre pour la magie d'altération que j'ai du autrefois et à mon grand regret abandonner bien malgré moi, regarde donc mes progrès dans ma nouvelle passion alors que je change cette fourchette en cuillère !

Et alors qu'un air d'abandon, de défaitisme passait tel un nuage passager sur son visage, Artanis entrepris de continuer cette blague qui allait déjà trop loin pour lui, et son ego. Gesticulant plus qu'il manipulait les arcanes, Artanis réunit alors tout son pouvoir magique. Ses sourcil se réunirent, ses mains s'ouvrirent et toute sa concentration fut mobilisée alors qu'il saisissait sa fourchette à une mains et tentait de canaliser de l'autre. Il avait originellement fait cela pour mettre en valeur son incompétence dans la matière, et pourtant une partie de lui soudainement oubliait le jeu de rhétorique, et essayait réellement de produire un résultat satisfaisant.
Pour autant, il se fit immédiatement rattraper par son réel talent magique, et même au bout de quelques minutes qu'ils fit traîner encore une fois à cause de son ego, il ne put produire qu'une œuvre abstraite instable n'ayant plus rien d'une fourchette, ou d'une cuillère, mais plus d'un petit moignon de métal, le tout ayant à peine à voir avec "de la magie". Relâchant sa concentration, le souffle court, il s'était interrompu avant que sa langue ne dépasse la commissure de ses lèvres par sa concentration. Ne voulant reconnaître à quel point il s'était donné à fond, il évita un instant le regard de son ami, avant de reprendre, inspirant profondément et replongeant son regard d'azur dans celui d'Ildarion :

-Bon, et sinon, plus sérieusement, as-tu enfin été reconnu pour tes talents ? Les professeurs t’ont ils enfin lâché la grappe ? As tu trouvé une magie ayant grâce à tes yeux ? Une magie te résistant, une magie réveillant la flamme de ta curiosité, une nouvelle connaissance, un domaine de recherche justifiant ton intérêt éternel pour l'arcane ? Et que vas tu faire de tes talents désormais ? Je n'ai pas changé la dessus et je pense que toi non plus, mais je ne me destine pas à me mettre au service de "notre glorieux empire" et toi non plus non ? Artanis avais usé alors de son caractéristique sarcasme éternel et exagéré ici, marquant une pause, cherchant à lire la réaction d'Ildarion, il reprit, Quel destin alors pour le passionné de la logique simple de la recherche magique ? Pas rester le cul vissé à un banc dans une bibliothèque non ? Tu les as tous lu, et ceux que tu n'as pas lu ne t'apprendrons rien de toute façon j'en suis sûre, du moins c'est ce que tu me racontais jadis...

Ildarion observa avec amusement Artanis se démener avec sa fourchette. Après sa très respectable démonstration, il fut quelque peu assailli de questions, déviant encore une fois le focus sur l’arcaniste. Soit : puisqu’il manifestait tant d’intérêt sur ses recherches et ses déboires, et qu’il était, somme toute, bien le premier, autant satisfaire sa curiosité.

« Chaque question mérite sa propre réponse, mon ami ; et aucune d’entre elle ne sera négligée » assura Ildarion tandis que l’hydromel tournoya dans les airs en une ultime voltige avant de retomber dans le pichet, suivi du reste de son verre maintenant vide.

« Tout d’abord, je ne sais pas ce que tu entends par "la reconnaissance de mes talents". Les professeurs étaient enchantés par mes performances, certes, mais tu n’y verras rien de nouveau. Nombre d’entre eux étaient particulièrement attristés de mon désintérêt manifeste pour leurs disciplines en tant que telles. »

Ildarion avait initié son propos en matérialisant un minuscule nuage au-dessus du centre de la table, qu’il chargea légèrement d’énergie. Du nuage jaillit un infime éclair qui frappa le bois, embrasant une flammèche qu’il laissa brûler un moment ; puis la nue se liquéfia en une fine bruine, qui, éteignant l’étincelle, forma une brume chaude qu’il condensa en flaque. De la scène, qui avait duré une petite minute, ne restait plus qu’un léger cercle noir marquant le bois.

« C’est parce qu’ils n’ont rien compris aux arcanes ; ils pensent que la magie est contenue, compartimentée, dogmatique, et qu’elle est sagement segmentée selon des domaines définis de manière beaucoup trop propre et pratique. Comme si les forces qui régissaient le monde s’étaient imposées des barrières aussi théoriques, aussi simplistes, aussi stupides pour ainsi dire, pour que nous, pauvres êtres de chair, puissions tenter d’entrevoir un éclat de leur superbe, et succomber à la béatitude de comprendre un fragment de l’univers. »

Il créa un instant un vortex dans la flaque, avant de la faire virevolter jusque dans son verre, qu’il remplit de ce fait d’une eau encore brûlante.

« Comme si chaque magie était un fruit mûr prêt à être cueilli auprès d’un arbre généreux, et que tous ces arbres s’alignaient comme par hasard dans des vergers d’une bienveillance médiocre et débilitante, les branches gorgées de savoir, ployant vers les êtres médisants de pédanterie et de suffisance, et qui n’ont d’autre mérite que d’être au bon endroit, au bon moment. »

Attirant à lui la noircissure dont il venait de graver la table en un filet de poussière anthracite jusqu’à totalement effacer la trace de brûlure, il forma une fine mine de graphite dont il se saisit à la volée pour commencer à gribouiller des sigles de son côté du panneau.

« La vérité, c’est que l’univers ne se fragmente pas. Il ne se compartimente pas. Il est un tout. Tout est énergie, et je pense que, quelque part, tout est magie. Ce n’est pas parce que de grands principes régissent certains types d’énergies qu’ils sont intrinsèquement indépendants. »

De la rune qu’il venait de tracer jaillit, comme dans un infime remous du bois autour, une branche chétive et ridicule, qui laissa germer une feuille toute aussi maladive.

« Il suffit d’ouvrir les yeux pour réaliser comment les fils qui sous-tendent la réalité font fi des écoles où l’on cherche à les classer avec un aveuglement tout à fait délétère. »

Et tandis qu’il approchait les mains de la foliole craintive, quelques ondulations purent se faire sentir, comme d’infimes vagues de chaleur et de sérénité ; et la feuille se vit comme revigorée, gorgée d’une énergie nouvelle et salvatrice qui la rendit vive et charnue.

« Tout est connecté, et tout est en équilibre. Le dogme arbitraire des écoles de magie coupe cet équilibre en méconnaissance totale des échanges profonds et inaliénables qui régissent le tout. »

Soudain, la rune pulsa à nouveau, et la feuille se dénerva, se flétrit, s’assécha. Ildarion l’arracha délicatement de sa tige, puis arracha la tige elle-même, qu’il fit se délier en une multitude de fils délicats ; et la feuille, broyée, fut placée dans cette cage végétale.

« C’est un peu comme ce qu’on appelle communément la magie d’altération, et dont tu viens de me parler : tout se fait à force de conversions, d’interactions, de changements. Rien n’est gratuit ; et sans s’en rendre compte, les ignorants empruntent auprès de forces qui les dépassent, sans savoir ce qu’ils hypothèquent, sans même savoir ce qu’ils devront rembourser un jour. »

Et tandis que de la fumée s’élevait toujours du verre rendu opaque par la buée, il récupéra le sachet qu’il venait d’ouvrager et le mit à infuser.

« Pour enfin répondre à ta question, donc : je me fiche bien de ce que les professeurs de l’académie peuvent penser, comme le lion se fiche bien de la fourmi qui trime ; son royaume de tunnels, immense, fragile, ne saurait résister aux assauts furieux des pattes puissantes du félin, mais quel intérêt ? »

Il soupira.

« Quant à savoir si je servirai dans les rangs des mages de bataille, ou si je conseillerai l’un de mes très avisés et très estimés frères dans une quête aveugle de pouvoir… Je pense que tu me connais assez pour connaître la réponse. »

Il glissa un coup d’œil vers le livre qu’il avait mis de côté.

« Et pour ce qui est des ouvrages de la bibliothèque de l’académie, je peux effectivement – et en tout humilité – te confirmer que je commence à en connaître une certaine partie. Il est cependant certains grimoires qu’il ne m’a pas été autorisé de consulter… Mais la soif d’apprendre trouve toujours son chemin. »

Voilà que son estomac lui rappelait qu’il n’avait pas mangé depuis belle lurette. Il posa sa bourse sur la table, héla quiconque servait ici pour demander de quoi l’empêcher de faire un malaise ; même un repas frugal ferait l’affaire, puisqu’il savait que la sensation de faim partirait aussitôt qu’il commencerait à palabrer sur ses travaux. La faim réelle, elle, demeurerait : son corps était un catalyste frêle et malmené, mais hautement fidèle.

Alors qu'Ildarion déclamait et Artanis écoutait, ce dernier se voyait transporté ailleurs, dans la bibliothèque du collège magiques où ils se retrouvaient après les cours.Une fois de plus ils étaient là, tout les deux, une fois de plus Artanis s'était ridiculisé et n'avait rien compris à la magie, et une fois de plus Ildarion s’efforçait de lui expliquer d'une manière plus ouverte, naturellement, sans même qu'Artanis ne lui ai spécialement demandé.
Le jeune noble n'était pas très bon en magie, n'y comprenait rien, mais même quand les paroles de son ami ne lui révélait rien en lui, il appréciait simplement être la pour écouter et s’imprégner de la passion d'Ildarion pour la science arcanique.

Quand le mage lui parlait de l'unité du monde et de la magie, Artanis lisait comme dans son esprit, retrouvant la même pensée qu'il partageait avec lui à l'encontre de la vision dogmatique de l'académie, et de l'empire elfe en général. Quand le mage parlait, même si le chevalier ne comprenait pas les paroles, il lui semblait comprendre celles de son cœur, et celui lui suffisait, le comblait. Quand Ildarion acheva son explication, Artanis, jusque là suspendu à ses lèvres, plissa ses paupières en un regard malicieux et inspirant profondément, répondit à mi-voix :

-Elle trouve toujours son chemin oui ... et je ne te demanderais pas où tu as trouvé ce livre, ni ce qu'il y a dedans.

Tapant du plat de la mains sur la table, claquant sa langue, Artanis se leva, désigna d'un geste faussement las la bourse de son ami et lâcha simplement :

-Mon père paie à l’œil, toute la journée nous pouvons demander ce que nous souhaitons. L'hospitalité des Kirin à toujours été à la hauteur de notre vertu, tu le sais bien, et je place notre amitié au delà de cela. Range donc cette chose avant que je me fâche.

L'elfe avait terminé sur le ton de l'amusement, et se levant il parti chercher en cuisine le repas du midi qu'il servit à son ami avant de se rasseoir, laissant à peine le silence s'installer avant de reprendre, l'air plus grave :

-Je ne saurais t'exprimer mon soulagement de voir que tu n'as pas changé, ni toi, ni tes idéaux. Si je t'ai amené ici, c'est parce que tout le monde ne pense pas comme toi, comme nous, n'est pas aussi ouvert que toi. Inspirant à nouveau profondément, réticent, il ôta alors le cercle d'argent porté sur sa tête comme on arrache une écharde, et révéla la tâche blanche d'écailles sur son front. Il réalisa alors qu'il esquivait le regard de son ami, lorsqu'il le rencontra à nouveau, un élan indescriptible le submergea et il reprit de plus belle, lyrique, Je ne suis plus l'elfe que tu as connu, le même cœur bat en moi, la même passion, les mêmes idéaux, mais un nouveau destin s'est ouvert devant moi, une destinée que ce même cœur ne peut plus ignorer.

Artanis entreprit donc de raconter à son ami toute son histoire, sa rencontre avec les dragons, l'histoire de sa famille, et sa transformation. Ayant terminé, reprenant son souffle, il acheva :

-J'ai toujours souhaité "faire plus", montrer aux autres elfes les erreurs du dogme de l'empire, prouver à tous que les elfes d'opales sont meilleurs, mais meilleurs car il nous est donné l'opportunité d’être "plus" et de donner plus, d'aider plus ce monde à retrouver la paix, pour que des passionné comme toi puisse parcourir le monde et découvrir ses richesse et ses secrets, pour que ceux qui souhaitent connaître la paix et vivre leur petite vie insignifiante le puisse. J'ai toujours souhaiter un monde où les fort aident les faibles, un monde où chacun peut aller chercher le destin qu'il souhaite quel que soit ses origines. Pour cela, les elfes doivent apprendre l'humilité, l'idéologie de tout l'empire doit changer, s'écarter du chant inéluctable de l'autodestruction dans lequel il se berce. Mais l'hubris des elfes ne peut être corrigée par aucun moyen en ma possession, pas avant, pas pour le moment. Mais désormais que ce, Artanis claqua des doigts et avec fluidité fit jouer entre ses doigts des arcs électriques reprenant les motifs de la forme de magie que son interlocuteur pratiquait avec son breuvage plus tôt, pouvoir ... avec ce pouvoir, ce lien, tout devient possible, et une chance m'es donné d'exprimer ce rêve.

La magie cessa, et Artanis leva les yeux au plafond, fit signe à Belthranar qui, tel un chat, se campa sur sa position, hésita un instant, calculant son saut, et sauta aux coté du duo assis. Manquant son atterrissage de peux, il ne put s’empêcher de compenser ce dernier d'un battement d'aile qui fit voler la chevelure d'Artanis et retourner quelques pages du livre aux côté d'Ildarion. Reprenant sa constance, bombant le torse, le dragon se présenta à ce dernier :

-Salutations, je suis Belthranar, fils de Veryana et Eldranor, dernier descendant de la haute lignée du vol blanc de la famille … Artanis lança un regard a Belthranar qui, voyant le sourcil de l'elfe se hausser progressivement, se reprit, et humblement termina, je... j’espère pouvoir forger avec vous une amitié, un lien aussi fort que celui qu'Artanis vous porte, et mériter tant votre respect que votre merci.

Affichant un air satisfait, acquiesçant, Artanis ajouta :

-Je dois apprendre aux elfes le respect, l'humilité, et leur faire retrouver l’équilibre, Belthranar doit en faire de même pour les dragons. Ensembles, nous nous devons de briller tel un phare d'exemplarité et de force afin d'inspirer un bon changement dans ces deux cultures, un changement vers la vertu. Mais pour tout te dire, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas où aller, où trouver cette vertu, cette force. Je la ressent en moi mais elle m'est ... comme inaccessible. Tu as toujours su faire ressortir le meilleur de moi, me guider autant que je te soutiens, me comprendre bien mieux que moi même.

Se levant, Artanis posa sa mains sur celle de son ami, et prenant son air le plus sérieux, plongeant pleinement son regard dans celui de son interlocuteur comme on plonge dans l'abysse il reprit, solennel :

-Je ne peut retourner à la capitale, pas avec Belthranar, et je ne le quitterais plus. Je pense que toi non plus, même si tu ne l'as peut être pas encore réalisé, je pense qu'au fond de toi tu sais que tu n'as plus rien à faire ici, dans cette ville, dans ce pays, et que ta soif de savoir, comme ma recherche, guident tes pas vers l'inconnu, vers "ailleurs". Aussi je te suivrais, tel mon frère, je ne te quitterais plus si tu me le demandes, et t'accompagnerais où que tes pas te guident, et à tes côte, j'en suis sure, découvrirait ce que je recherche. Qu'en dis-tu ?

Retirant sa main, un peu gêner, c'est avec un large sourire et une certaine appréhension, qu'Artanis redoutait de révéler à son ami mais qu'il savait impossible à cacher pour ce dernier, qu'il attendit le verdict.

Lorsqu’Artanis invita l’arcaniste à ranger sa bourse, Ildarion ne sut dire s’il devait être soulagé ou vexé. L’opulence des Kirin était un fait connu de beaucoup, mais la maison Saphronys n’était pas en reste. C’était un peu comme comparer le blanc du nacre à celui de l’ivoire, là où l’elfe commun se contentait du marbre. En définitive, une querelle de principes davantage que de fond.

Admettant finalement sa défaite, il se laissa porter un généreux plat de venaison en sauce, qui, s’il manquait manifestement de finesse, laissait s’échapper un fumet tout à fait décent. Comprenant qu’Artanis avait déjà consommé sa part, c’est avec une retenue toute forcée qu’il commença à manger son plat, usant de toutes les manières de table que l’on pouvait attribuer à un noble. Ce faisant, un léger silence s’établit entre les deux comparses, perturbé entre deux crépitements de l’âtre par quelques mastications inopinément trop audibles.

Il n’avait pas entamé le premier quart de son assiette qu’Artanis reprit la parole avec morgue. Ildarion le fixait, presque inquiet, abandonnant aussitôt tout intérêt pour son plat à l’instant où il révéla les écailles sur son front.

Pour ainsi dire, le mage dévora son histoire beaucoup plus goulument que la viande qui refroidissait devant lui. Artanis, se liant avec un dragon. Artanis, de fait, devenant un dragon. Son ami avait connu une ascension, une consécration inespérée, atteignant, dépassant le pinacle de la mortalité de la plus noble des manières, embrassant la nature de la race draconique. Une race occulte, souvent honnie pour les torts de certains de ses représentants au temps jadis, traquée, exterminée, mais pourtant si exceptionnelle. Si le gâchis pouvait être personnifié, il serait un dragon éclatant de mille feux, majestueux, puissant, fier, mais terriblement seul ; comme si la splendeur était un fardeau d'ermitage drapé d’une aura de mauvais augure.

Il ne ressentait pas de jalousie : seulement une fascination scientifique puissante, alimentée par un chapelet d’émotions dense et noueux qu’il préféra ne pas essayer de démêler pour ne pas en diminuer la puissance. Bien sûr, bien peu de ce trouble intérieur ne s’extériorisait sur son visage ; son regard rougeoyait, ses ridules se détendaient, la commissure de ses lèvres se relevait, mais c’était là à peu près tout. Ceux qui le connaissaient savaient que c’était ainsi que sa physionomie trahissait qu’il était proprement captivé – et quiconque accaparait son attention, accaparait ses émotions. Aussi, lorsque le noble chevalier fit jaillir des arcs électriques de sa main avec une aisance qu’Ildarion ne lui avait jamais connue, le mage écarquilla grand les yeux, laissant un sourire totalement authentique fendre le sérieux de son visage, transcendant le masque de fer de sa sobriété naturelle.

Dans l’escalade des choses, le compagnon draconique d’Artanis quitta sa cachette – Ildarion n’avait pas pensé une seule seconde à lever les yeux depuis son entrée ici – et vint se poser sur le plancher avec un léger manque de souplesse, que le mage manqua volontiers de relever. Le vent induit par cet atterrissage impromptu agita l’unique tresse de sa coiffure du jour, faisant soudainement se soulever la couverture de son grimoire qu’il s’empressa de refermer dans un élan de panique pour ne pas qu’un quelconque dommage n’altère les pages fragiles.

L’être reptilien, magnifique, était encore "jeune", en cela qu’il n’était pas plus gros que le plus gros des lévriers de chasse qu’élevaient ses frères ; car il avait exactement le même âge qu’Artanis, soit un joli siècle et quart. Belthranar du vol blanc, l’ami de son ami, qui l’invitait à faire de cet état de fait une relation de transitivité – soit, en parler normal, à devenir son ami également.

Et à Artanis de lui tenir les mains et d’épiloguer sur l’honneur, l’impossibilité de faire marche arrière, et plus généralement, la destinée manifeste de leurs existences, dont les fuseaux si différents mais si semblables se croisaient en ce lieu et cette heure. L’elfe-dragon voyait en sa quête de vertu un parallèle indubitable à la quête d’Ildarion, celle de la vérité. Et la vérité, c’était qu’il n’y avait pas matière à tergiverser une seule seconde.

« Festoyons tant que nous le pouvons, car il s’agit là d’un chemin semé d’embûches. Il parlait vite, excité comme un enfant noble normal – pas lui – devant un tournoi de joute. J’ai mille pistes à suivre, et toutes peuvent nous tuer, mais c’est le prix à payer pour sauver ce monde de la déréliction. Sers-toi donc un deuxième petit déjeuner, et soulage cette carafe d’hydromel de son fardeau capiteux ; en vérité, je devrais t’y aider. Le thé attendra. Prenons donc de ce breuvage, nous en avons bien besoin. »

Espérance, ou plutôt Eleonore venait de boucler une bonne année depuis son départ. Une année d’apprentissage, une année d’une patience rudement mise à l'épreuve et aussi une année remplies d’aventures, parfois douloureuse, d’autres fois aussi simples à résoudre que retrouver un loup affamé et l’exécuter.

C’est une de ces entreprises dont elle vivait désormais qui l’avait conduite quelques jours plus tôt à la frontière afin de livrer un simple colis à un collectionneur, soit disant. Des trafiquants qui a son arrivée avaient tenté de l'éliminer. Un combat en “un contre trois” qui avait bien tourné quand face à des gens pouvant au mieux égorger de pauvres hères dans une ruelle sombre, les trois bandits avaient chacun finit au sol et plus particulièrement quand une patrouille avait pointé le bout de leurs casques brillants.
Mais elle n’avait de ce fait aucunement touché de récompenses et cette pensée avait le don de l’irriter depuis ces événements. Bien sur, elle s’estimait chanceuse d’avoir été libérée sans plus de problèmes, quoi qu’il lui avait été gentillement intimé de quitter la ville fissa.

Et donc elle en était la, a marcher sous un léger soleil, bien que pas aussi ardent que l'astre solaire en plein été, loué en soit les dieux, une capuche ne laissant de visible que ses yeux et les traits de son visage. Son pas lent mais assuré, elle suivait le chemin qui, selon des dires de voyageurs, devait l’amener à une taverne pour y passer un peu de temps.

Elle jouait avec le feu, de par sa proximité avec l’empire elfique, a vrai dire, peut être avait-elle franchit la frontière sans s’en apercevoir. Il fallait aussi préciser que cet empire était connu pour son esclavagisme et sa suprématie elfique, mais loin des villes du centres de l’empire, les choses seraient peut être plus calme et puis, elle n’avait que besoin d’un peu de repos avant de finir par reprendre la route de Aravalen’dir.

Encore quelques minutes, la structure était désormais bien visible au loin. Une architecture très elfique, peut être trop au goût de l’humaine. Quitter les fanatiques était une chose, mais même au bout d’un an, certaines habitudes avaient la vie dure, surtout quand, au fond, ces elfes là étaient similaires à ce qu’elle pouvait être avant.. Enfin presque, un peu de fanatisme religieux en moins.

Elle arriva alors au pied de la bâtisse. Fini les réflexions, elle s'avança vers la porte, ne prit pas garde à un quelconque écriteau réservant la salle pour la journée. Non, elle entra de son pas tranquille.
Ses yeux eurent besoin de quelques secondes pour s’habituer à la luminosité un peu plus réduite. A l’intérieur, deux longues oreilles, visiblement animés de discussion et un petit truc, une petite bestiole digne d’un écailleux de la famille des cracheur de feu. Un familier ? Une invocation ? Haussant légèrement les épaules, elle s'avança vers le comptoir et, patientant en attendant le maître de ces lieux, elle prit le soin de regarder plus attentivement les présents.

Aux paroles de son ami enfin pleinement retrouvé, le cœur d'Artanis s'embrasa et il retrouva son sourire. Son esprit se remplit immédiatement de souvenirs de leur aventures passées, nourrissant l'expectative de leurs péripéties futures. Mais alors qu'il s’apprêtait à retourner en cuisine pour se trouver quelque chose à manger afin de partager ce moment de réunions des cœurs, des esprit mais aussi des assiettes, la porte de l’établissement s'ouvrit. Interrompant de fait cet instant magique pour l'elfe, ce dernier, ne regardant d'abord pas qui était l'impromptu visiteur il lança un désobligeant « C'est pas trop difficile de lire la ... » mais fut encore interrompu dans son geste quand son regard se posa sur l’intéressée. Une jeune femme, humaine, à la posture trahissant une éducation martiale, au visage fin n'ayant jamais connu le labeur des champs, et à la chevelure aux couleurs automnales.
L'humaine traversa la pièce en ne prêtant aucune attention ou presque au dragon, aux elfes, et à la remarque d'Artanis qu'elle n'avait sûrement même pas entendue, cette dernière paraissant particulièrement épuisée, aux portes d'un autre monde.

Cette attitude vexa le chevalier dragon qui , après avoir suivit du regard l'humaine rejoignant le comptoir la bouche à demi ouverte, les yeux écarquillé, sans pouvoir dire mot, se retourna vers Ildarion, haussa les sourcils, papillonna un instant des yeux avant de reprendre un semblant de contenance. Refermant sa bouche, se levant lentement, faisant un geste à son ami afin de lui intimer de continuer son repas, resserrant ses lèvres afin de contenir sa frustration, Artanis prit le pichet d'hydromel, se servit un verre, et l’emmena avec lui jusqu'à sa cible.

Arrivant à sa destination en quelques enjambées lestes, il se posa juste a côté de la femme accoudée au plateau de chêne massif tel un dernier recours avant l'abandon, posa le verre devant cette dernière et lui lança de sa voix la plus suave :

-Je vous sert autre choses ? Que désirez vous noble voyageuse ? Que pouvons-nous faire afin d’apaiser votre peine ?

Une fois l'attention de l'interlocutrice captivée, son regard d'azur plongeant dans celui de la voyageuse, d'un geste aussi vif que soudain, Artanis s'avança d'un pas afin de réduire à un cheveux la distance qui le séparait de cette dernière. Posant sa main sur le pommeau de son épée, il commença à y faire agir sa magie de feu alors que de son autre main il élevait tel le dard d'un frelon et crépitant tel une flamme électrique une lame de magie élémentaire à la pointe de cette dernière qui venait se placer contre la jugulaire de la femme. Reprenant de son ton le plus péremptoire et dédaigneux, ne quittant plus le regard de son interlocutrice :

-Bien, maintenant que j'ai vraiment ton attention...humaine... tu as exactement 30 secondes pour me dire qui tu es, ce que tu fait la, et ce que tu espère de la suite de cette journée, de ta vie, alors que tu viens d'interrompre un moment particulièrement heureux. Je m'en vais te démontrer pourquoi on ne trouve pas d'humains sur ces terres. Ce n'est pas parce que les elfes ne les "tolèrent pas", ce n'est pas parce qu’ils ne viennent pas, c'est parce qu’ils essayent constamment de venir salir nos terres avec leurs idéaux de sous-race barbare, et qu'il sont systématiquement écrasé tel une fourmis sur le bord d'une assiette. J'ai faim, cette auberge est mon assiette, et je n'ai vraiment pas le temps ni l'envie là … Un ! Deux ...

Se concentrant sur ses deux sorts actifs, une furtive vérification de ses sens autre que sa vue, pleinement focalisée sur sa cible, lui confirmèrent que Belthranar, ses griffes sorties et raclant sur le sol, s'était posté à ses côté. Il savait de toute façon qu'il faudrait un instant à Ildarion pour foudroyer d'un sort l'humaine si cela dégénérait trop. Une pensée parasite embruma son esprit un instant en attendant la réponse de la femme face à lui alors qu'il pensait aux coût de réparation et l'image ternie de sa maison si cette rixe évoluait en une conversation "plus musclée".

L’arrivée de l’humaine chargea l’air d’électricité avant même qu’Artanis ne commence à agir. Comme un plongeon dans un lac gelé, il y avait un avant, et un après. Ildarion n’avait pas tardé à perdre le semblant de bonhomie qui avait commencé à l’habiter, se recroquevillant presque dans son coin de taverne, s’agrippant à moitié à son livre d’une main, fourbissant l’air de l’autre avec méfiance. Qui était cette personne, et que voulait-elle ? C’était tout juste si elle les avait considérés ; l’écriteau à l’entrée, les elfes, le dragon, auraient tout aussi bien pu ne pas être là, et Ildarion se demanda un instant si la personne n’était pas victime d’un quelconque sortilège d’envoûtement. Avec une attitude placide et une démarche lasse, elle se mouva jusqu’au comptoir comme pour demander à boire, puis daigna les observer à nouveau.

Il n’en avait pas fallu davantage pour mettre en branle Artanis et sa force tranquille. L’elfe-dragon, qui avait lui-même été étonné, l’espace d’un instant, par cette apparition incongrue et inexpliquée, reprenait déjà les choses en main en s’avançant vers l’humaine avec prestance. Il lui avait suggéré de poursuivre son repas, et c’est ce que le mage décida de faire, découpant doucement un morceau de viande avant de le porter à sa bouche.

Mais le temps que la carne atteigne ses papilles, et en l’espace d’un clignement d’œil, l’humaine se retrouvait doublement menacée par son comparse ; une lame de magie posée sur sa gorge, et une entrave manifeste à ses possibilités de riposter au vu du rougeoiement qu’émettait le pommeau de l’épée de la femme à sa ceinture. C’était comme si le temps avait brusquement avancé, de plusieurs secondes en une seule, et qu’il se dilatait à présent pour corriger cette singularité. Lui-même stoppé dans son élan par la dynamique inertielle de la scène se retrouvait tout penaud avec son bout de gibier froid aux portes de sa langue. Ses dents raclaient doucement la chair rosée pour l’extraire des piques argentées de sa fourchette, aidées par l’appui intérieur de ses lèvres trainant sur le métal comme une mauvaise ventouse. Signe que le temps n’était pas figé en dépit des apparences, une goutte de sauce trouva son chemin hors de cette trappe buccale pour se glisser et perler jusqu’au coin de sa bouche sans qu’il ne le remarquât vraiment. Ses yeux, rivés sur les deux humanoïdes et leur son et lumière statique, ne clignaient plus. Il en aurait presque oublié de respirer.

Lorsqu'Artanis parla à l’humaine, Ildarion ne sut combien de temps avait passé – une poignée de secondes, en vérité, mais sa perception en était toute autre – et les propos de son ami s’en retrouvaient plus incisifs, plus agressifs, plus virulents. Une partie de sa personnalité qu’il endurait bon gré mal gré, car il fallait des chiens pour guider les troupeaux, et que les peuples, tout civilisés qu’ils furent, ne dérogeaient pas à cette règle de l'ordre des choses. Aussi, lorsque le chevalier commença son compte à rebours, le mage se permit d’intervenir.

« Artanis, s’il te plaît. Je ne connais pas les intentions de l’humaine, mais je doute qu’elles soient mauvaises ; sinon quoi elle serait rentrée l’épée au poing, et non au fourreau. Du reste, fais donc preuve d’empathie. Tu ne peux pas décemment espérer d’elle qu’elle sache lire. »

A peine arrivée au comptoir que déjà l’un des deux elfes s’approchait et déposait un verre devant elle. La voix suave qui lui demandait ce qu’elle voulait. Elle posa sa main devant le verre, regarda le liquide dont l’odeur d’hydromel émanait avant de poser les yeux sur celui qui semblait être l'hôte des lieux, son regard gris acier croisant le regard azur et c’est avec un peu de reconnaissance qu’elle commença une phrase qui mourut à peine entamée.

- Simplement de..

L’elfe changea soudainement de comportement, mêlant sa magie a un dégainage rapide de son arme pour venir la menacer et lui interdire l’utilisation de sa propre arme.

Mélangeant menace et interrogatoire, celui qui aurait pu passer pour agréable se révélait être un parfait exemple du sieur peu aimable et arrogant, le genre de personne qui, en plus de lui rappeler son lieu d’origine, s'attire sans difficulté aucune ses foudres et met à mal sa patience.
Mais la situation n'étant pas à son avantage, et l'adrénaline la sortant doucement de sa torpeur ne l’aiderait pas outre mesure, il était frais, pas elle. Eléonore choisit la voix de la diplomatie, observant durant quelques courtes secondes l’elfe, puis la bestiole écailleuse puis le second elfe au loin qui prit la parole. Ce dernier venait, en pensée, de prendre un ticket pour un second bottage de fesses si cela tournait a son avantage, quoi qu’il était déjà plus calme que le premier longue oreille.

Elle prit alors la parole et si sa voix se voulait claire, elle n’en restait pas moins aussi tranchante que l’arme qui la menaçait et la cadence rapide afin de coller au temps de réponse donné.

- Je ne suis qu’une aventurière à la recherche d’un peu de repos, d’un repas et d’eau. N’ayant pas dîner avec vous hier soir et vu la situation je doute qu’il y ait besoin de faire plus ample connaissance, cela dit, autant je peux me voir repartir demain au plus tard pour la terre des dragons ma bourse plus légère et la votre plus remplie, autant je peux aussi me voir croiser le fer avec vous, que ce soit ici ou dehors, ce que je préfèrerai éviter dans les deux cas par respect pour les lieux. Et si je m’excuse pour la gêne occasionnée par mon arrivée, sincèrement, je vous demanderai de vous détendre, nous sommes dans une taverne, pas dans un cirque.


Elle marqua une pause, elle devait effectivement être dans la demi minute, observant les deux autres créatures visibles, elle inspira rapidement, puis elle enchaîna juste avant que quelqu’un d’autre ne prenne la parole.

- Quand a vos inepties, seriez vous un jour sortis de vos forêts, vous sauriez que le monde est bien différent, tous ne sont pas des assoiffés de sang extrémistes raciaux comme vous ou les fanatiques religieux de Cron et pour un elfe, vous vous comportez plutôt bien comme ces barbares humains que vous vous vantez d'écraser et dont vous pensez être supérieur.


Elle porta une main sur le poignet guidant la magie de l’homme.

- Ce sera donc la porte et on rougit le sol de sang ? Ou allez vous vous comporter en charogne et manger à côté des cadavres ? Je n’en reste pas moins friande de la troisième solution, celle qui fait que nous continuerons nos chemins sans heurts demain, vous votre importante affaire ce soir et moi un peu de sommeil ce qui ne vous dérangera pas.

C'était piquant, peut être trop, mais les menaces verbales et la présence d’une arme sur sa tempe ne l’avait pas aidée à faire preuve de plus de diplomatie que ce dont elle faisait déjà. De l’autre côté, elle n’avait pas user de son propre joker, mais si il était une chose qu’elle voulait éviter, c'était bien cela, en plus d’avoir à réduire au silence les témoins, elle devrait fuir aussi bien ses propres démons que tous les assoiffés de sang du pays. De nouveau, elle regardait les deux elfes tout en gardant l’écailleux dans son champ de vision.

Aussi étrange que surprenant pour la jeune femme, l'elfe avait choisit de lui faire la leçon. Et quelle leçon. Si le fond pouvait avoir du juste, il n'en restait pas moins que l'arrogance et le ton qu'il mettait dans ses propos ne pouvaient qu'agacer Eleonore. Cela dit, elle écoutait en silence tout en se calmant elle même ou du moins en essayant de faire preuve de patience a l’égard de l'elfe, quoi que le visage desormais neutre qu'elle essayait de maintenir laissait parfois deviner que certains passages avaient leur petit effet sur l'humeur de la demoiselle.

Si elle avait apprécié qu'il retire enfin sa main de son arme, se faire électriser la main n'avait rien arranger à son humeur, qui au fur et à mesure du discours aurait pu se faire massacrante, mais bon, ce n’était pas ce qu'elle voulait ni comme si elle pouvait se le permettre, sur ce fait, l'elfe marquait un point aussi prenait-elle son mal en patience.

Puis il se recula d'un pas, pour enfin finir sur une troisième tirade, de nouvelles menaces, toujours plus d'arrogance et d'erreur, sur un ton plus neutre, plus appréciable. Un fond de vérité, son état ne lui permettrait pas de se dresser outre mesure, mais franchement, le caractère du longue oreille était d'un insupportable et c'était la seule raison qu’elle avait eu de se comporter ainsi - son erreur a elle, il fallait le reconnaître.
Finalement, il lui demandait de parler, de s'exprimer, enfin, quoi que… Elle ne savait pas quoi dire là tout de suite. Par ailleurs, elle avait commencé depuis sa première tirade à se repasser toute la scène afin d'essayer de comprendre d’où pouvait venir une telle animosité outre sa propre réponse précédente laissant a désirer diplomatiquement.

Hormis le fait qu'elle n'avait rien a faire visiblement du mauvais coter de la frontière, il est vrai que le fait qu'elle ait ignoré les présents pouvait constituer un motif valable, surtout la première partie a vrai dire, mais elle était la actuellement, s’était enfoncée dans la frontière plus que souhaité et ne pouvait le changer dans son état actuel. De l'autre coter, son comportement n'ayant rien arranger, il n'en restait pas moins que dans toute son arrogance, l'elfe pouvait justifier de ce qu'il voulait et tout chez ce personnage au comportement digne d'un riche elfe voir d'un noble l'ennuyait sincèrement.

Enfin, elle prit une grande inspiration après ce qui avait dû être un silence de quelques secondes.
Elle souhaitait calmer le jeu, mais de toute façon, les mots n'étaient pas son fort, ils ne l'avaient jamais étés. Tant pis, elle s'élança quand même.

- Sincèrement ? Je ne sais que dire. Vous avez raison. Quand a une raison de vous montrer magnanime, je n’en ai pas à vous fournir si ce n’est que je ne suis pas venue ici avec la moindre intention belliqueuse, plus par égarement et impossibilité de faire autrement que par volonté, mais rien, aucune preuve ne peut étayer ce que je peux vous dire, peut être une personne que j'ai rencontré dans la dernière année passée à la terre des dragons pourra confirmer, mais franchement, c'est loin et vous avez autre choses a faire.. Donc je n'ai aucune preuve, juste ma parole et mon honnêteté que je ne suis la que pour du repos le temps d'une nuit puis que je partirai, loin du bon coter de la frontière pour ceux de mon espèce. Maintenant, si je peux faire amende pour ce qui vient de se passer, je le ferai, puis retrouverai ma route. Aussi insignifiante que soit a vos yeux les paroles d'un humain, je m'y engage.  

Hum… Cela laissait à redire, mais le ton utilisé était moins cassant que plus tôt, ou du moins elle avait essayé un peu et en finissant sa dernière phrase, elle posa sa main directrice sur son coeur, inclinant la tete, tel un serment silencieux.

Ildarion devint quelque peu crispé face à la réponse de l’humaine. Qualifier les paroles d’Artanis d’inepties n’était pas des plus… sage, et proposer de régler ce différend par le fer n’était clairement pas avisé non plus. Le mage savait que son ami déployait des efforts de patience pour se contenir et être aussi mesuré ; il fallait au moins cela pour ne pas sombrer dans l’emballement et que les choses n’escaladent pas en un conflit qu’ils regretteraient tous. Était-ce par égard pour la réputation de sa famille ? Pour sa relation vis-à-vis du dragon, auquel il avait dû faire mille promesses de vertu ? Au nom de leur longue amitié, afin de l’épargner d’un danger quelconque ? Il n’en savait rien.

Toujours était-il que cet effort de diplomatie – certes enrobé de vitriol – sut trouver écho aux oreilles de la femme qui fit preuve de paroles beaucoup plus mesurées, et d’une attitude étonnamment révérencieuse. Voilà qui, s’il connaissait toujours son ami aussi bien qu’avant, devrait caresser dans le sens du poil les pulsions d’Artanis et éteindre le brasier qui avait commencé à se saisir de lui. L’occasion pour Ildarion d’enfourner une nouvelle bouchée de gibier et de la mâcher avec beaucoup plus de sérénité.

« Si je puis me permettre, intervint Ildarion entre deux mastications en levant le doigt comme s’il interrompait deux amants un peu trop éperdus, j’ai toujours rêvé d’aller visiter la terre des dragons. Il s’agit d’un lieu de choix pour de nombreux exilés arcanistes fuyant les désordres du reste du continent. Autant d'interlocuteurs potentiels qui, loin des mouroirs de l'intelligence que sont les académies, pourraient apporter de très intéressants témoignages. Tant de magies, de savoirs-faires menacés de disparaître avec leurs porteurs… »

Sa phrase resta en suspens tandis qu’il se perdit en murmures, la tête accaparée par ses rêves éveillés d’histoires et d’éther. Avec l’humaine comme guide pour cheminer jusqu’à Aravalen’dir sans trop d’encombres, et Belthranar comme sauf-conduit sur place auprès de ses semblables draconiques, peut-être pourrait-il trouver les conditions optimales pour élucider une partie des mystères pesant aujourd’hui sur la magie moderne ; rencontrer d’autres dragons, et aussi des élémentaires, afin de comprendre un peu plus le lien intangible qui existait entre la vie et l’arcane ; et comment certains êtres se retrouvaient plus ou moins sensibles à la magie, tandis que d'autres naissaient du giron de cette dernière.

Se calmer avait été la bonne décision et user de diplomatie aussi, surtout le premier. Étrangement, son interlocuteur s'était d’une façon ou d’une autre détendu lui aussi, surement qu'il avait du prendre sur lui. L'elfe aux cheveux d'argent l’invitant à s'asseoir, c’est ce qu’elle fit, profitant de ce début de repos.
Bien sur, l'éloge était plaisante à entendre, et dans le même temps douloureuse, l’espace d’un instant, elle s'était éloignée de ses valeurs, trop facilement. Se notant dans un coin de sa mémoire de faire plus attention à cela, elle demeura silencieuse un instant, l’elfe en profitant pour lui apporter un second verre du breuvage initialement présenté.

Posant un verre devant elle, elle ne but qu’une gorgée de ce liquide alcoolisé. Puis elle acquiesça. Les défaut d’une personne, les combattre et changer cet aspect le moins lumineux de la personnalité de chacun était compliqué, elle le savait, et d’autant plus maintenant qu’une piqûre de rappel avait été faite.

- Merci, il n’en reste pas moins qu’il y aura compensation de ma part pour ce qui a été dit et fait. D’une façon ou d’une autre.

Puis il s’en alla en cuisine et alors elle en profita pour s’adresser au second elfe qui semblait déjà caresser l’espoir d’un voyage dans ce qui était le refuge de nombre de gens, elle incluse aussi bien qu’ils n’en sachent pas grand chose.

- L’endroit y est vraiment agréable, que ce soit en terme de paysages et environnement ou de mode de vie et si c’est du savoir et de la connaissance que vous cherchez, je vous souhaite de la trouver la bas, sans trop douter qu’il y soit, en fonction de ce que vous recherchez bien sur.

L’elfe a la chevelure d’argent revenait et déposa alors un plat devant la jeune humaine, lui promettant le gite et le couvert jusqu’à la fin de "l’événement" qui avait court en ce lieu. Eleonore inclina alors respectueusement la tête, suite a quoi son "bienfaiteur" se présenta, puis le dragon et enfin l’érudit, avant de lui faire une proposition de les emmener en Aravalen'Dir.

- Es.. Hum.. pour ce qui est de vous accompagner, je le ferai, ne serait-ce qu’en remerciement pour votre hospitalité, je vous le dois bien et vous pouvez m’appeler Eleonore.

Puis elle reporta son attention sur l'assiette, qu'elle dévisagea un instant avec un mince sourire avant de commencer a attaquer avec appétit le repas apporte. Elle laissa les deux compères discuter entre eux puis, plus tard dans la soirée, la jeune femme rejoignit le lit qui lui fut préparé et s'endormit, rejoignant le monde des cauchemars qui la hantaient.

Rassuré de voir que l’ambiance s’était considérablement réchauffée, Ildarion put finir son plat sereinement, attablé avec son ami. La tête ailleurs, c’est poliment mais distraitement qu’il réagit à l’apostrophe de l’humaine dont il apprendra au cours de la suite de la conversation le nom : Éléonore. Encore que l’information fut livrée avec hésitation, et sous une tournure bien particulière : "vous pouvez m’appeler"… était-ce là une simple fantaisie de langage, ou bien dénotait-elle par là qu’il s’agissait d’un alias ?

La question ne préoccupa pas Ildarion trop longtemps. Finissant son thé déjà trois fois réchauffé et trois fois refroidi – il oubliait de le boire, accaparé par les informations qui avaient fusé de toutes parts, les échanges d’abord violents puis amicaux, et son livre qui, en embuscade, ne manquait pas une occasion d'aspirer son regard et son attention. Lorsque l’humaine partit dormir, il était encore à lire, devinant sans le voir le regard désapprobateur mais compatissant de son ami. Pour ainsi dire, il partir dormir le dernier, lorsque son corps lui fit comprendre qu’il était aux portes du coma.

Il aurait tout le temps de finir de lire cet ouvrage demain… Sinon quoi, il avait encore tout son temps : son "méfait" était toujours inconnu, couvert par son ingénieux subterfuge de substitution. Après tout, les mages de l’académie n’étaient vraiment pas du genre à fureter dans ce genre de bouquins…